De quoi doit-on s'affranchir pour être libre ? Réellement libre ? Un individu souverain sous toutes ses formes ? Cette série "la fin du maître" rédigée en plusieurs épisodes, se propose d'explorer sujet de la véritable indépendance de l'être, celle qui exige d'abord qu'on s'affranchisse du monde, puis enfin de soi-même, pour totalement être.
25 Juin 2023
Sur les bords de la Dordogne
La fin du Maître
On l’a détrôné, décapité.
La tête alourdie de sa couronne, il s’est d’abord endormi, fatigué par des rituels performatifs qui longtemps firent illusion, longtemps furent nécessaires. Pour ne pas sombrer dans l’oubli, on a dû plaire, épater la galerie, faire fantasmer le chaland par des allégories magiques, lui qui vit scotché à des écrans numériques, habitué à voir la vie en Technicolor… Il a fallu faire le show, sortir les plumes, les grigris, les vaudous, les miracles… Ou peut-être pas.
Peut être que Dieu avait vraiment besoin de tous ces artifices, de toutes ces demeures auxiliaires pour vivre parmi les hommes. Tant que l’homme se voyait si sale au fond de lui-même, si inapte à être le dépositaire de sa propre présence divine… Peut être avait-il besoin de se voir dans un miroir lourdé de fard, de tatouages tribalistiques, d’auréoles de lumière empruntés aux esprits de la nature…pour y croire ? Se perdre lui même dans l’image pour y voir un semblant de sublime, incapable de reconnaitre Dieu dans sa simplicité humaine, sa plus simple parure. Des yeux, un nez, une bouche…. Mais pourquoi se déguisent-ils ces hommes absurdes qui pensent que pour en revenir à leur essence première il faut être élu ?
“On a été choisi parmi les hommes…”. Snobisme, élitisme d’un monde qui a peur de l’autre, qui cloisonne pour mieux garder le contrôle sur son univers.
“Lâche prise”. Ce n’est pas toi qui dirige l’orchestre de toutes les manières. Tu as beau agiter les membres, danser sous la voute céleste, incarner le soleil, lui vouer un culte indéfectible, ne pas manquer une seule prière… Tu ne partiras pas d’ici tant que ton frère n’est pas prêt à franchir la porte avec toi. Quel est le but de tout cela au final ? Se barrer loin de la Terre, cette planète ignoble qui nous fait tant souffrir…? La guerre n’existe qu’en nous même, et c’est triste. On se créer les conditions d’un départ anticipé, rupture conventionnelle d’un contrat de vie qui aurait bien pu finir par nous plaire, si on s’y était accroché un peu plus en desserrant les mâchoires…
“Ça y est mon Dieu, j’ai bien servi, laisse moi aller faire la fête ailleurs à présent, laisse moi aller prendre des vacances loin de cette fichue planète qui m’enlise alors que je suis si beau, si génial… J’ai peur de ne plus me voir à force. De ne plus tout à fait m’aimer tel quel…”
L’amour vache c’est peut être l’amour inconditionnel finalement. Celui qui entache exprès pour qu’on aille toujours plus loin, toujours plus profond dans les soupapes de nos désirs refoulés qui s’extirpent tant bien que mal de nos organes, de nos tripes, dans des râles pas tout à fait conformes aux GLORIA du catéchisme, mais bon Dieu que cela libère… Et il ne faut pas s’appeler Meister Eckhart ou Buddha ou Abraham pour avoir le droit de péter un coup royal. Je l’ai cru, je l’avoue, que la perfection était de ce monde. Que seuls ceux qui l’incarnaient totalement avaient accès à un au-delà dans l’ici et le maintenant. J’ai voulu rendre la minute féconde, mais pas pour tout le monde. Droit de passage, réservé à ceux qui ont bien fait leur devoirs, bien pris leurs notes en classe.
Et si j’avais bien vécu moi aussi, et si de sacrifices je m’étais en faite simplement libérée de mes chaines ? Et alors qu’est ce que j’aurais réellement à redire à celui où celle qui à son tour trouve la clé du verrou et fait sauter la serrure ? Et qu’est ce que je m’en fou qu’il boive, qu’il fume, qu’il baise ? Tant mieux ! Tant mieux pour la France! Tant mieux pour le Monde ! La sainteté jusque dans la raie des fesses… Ok je deviens vulgaire, mais là encore qu’y a-t-il d’immonde ? On va crier au scandale parce que je sali des textes que plus personne ne lit car cela fait belle lurette qu’on a oublié de les remettre au gout du jour. Si un Paul Preciado s’attaquait à la ré-écriture de la Bible peut-être qu’on aurait envie de la lire à nouveau !
Je spécule. Peut être que la nouvelle bible, c’est Paul Preciado lui même et tous ces artistes qui n’ont pas peur de vivre, où bien qui font face avec courage à leur terreur. Car il n’y à pas de plus grande peur que celle de vivre, croyez moi bien sur ce point. C’est elle qui à beaucoup, un jour, fait préférer la mort. Et c’est foutûment triste quand même. Qu’il faille en arriver au stade de devoir quitter la scène parce qu’on ne supporte pas le regard de l’Autre avec un a majuscule… Alors qu’il n’était qu’amour dans le fond… Si, si je vous assure… Tout le reste, c’étaient nos illusions qui parlaient trop fort. Au point qu’on en devienne sourd. On s’est vu si moche, si avide, si terrible, on a pas su comment on allait bien pouvoir s’en sortir autrement que par la porte de secours. C’est quand même dommage. Alors que finalement il suffisait juste de se laisser aller au personnage, de lui donner corps à fond, de transcender l’opprobre du professeur de théâtre qui a une idée bien précise de comment il voudrait que la scène se déroule, de qui sont les personnages. Production inspirée de ses lubies personnelles, entente cordiale de ses névroses, imperfections sublimes… On a donné raison au maître, on a érigé des écoles à son nom, on a réfléchi pareille, on a mangé, dansé, on s’est habillé de la même façon. Et on est pas arrivé au ciel pour autant, on a loupé le firmament. On a prit la passerelle d’un autre et on s’est retrouvé en bout de course, certes délesté de son trop plein de questions existentielles, mais une main derrière une main devant, la vue vers l'éternel toujours obstruée par l’autorité qui bloque le pas de la porte. A la fin, même le maître doit céder le passage, ou bien se faire jeter dans la tombe. Lui qui nous a tant venté le repos éternel, c’est pas pour s’y trainer une ribambelle de gamins accrochés à la robe.
Sacré tour de force de l’homme sur l’homme tout de même. On a tellement cherché Dieu ailleurs qu’on est prêt à s’en remettre entre les mains d’un autre, pas moins humain quand même, notons-le. Seul le costume change. En fonction de ce dont on a besoin pour croire. Artifice de scène ou pan de tissus accroché à la taille. Dieu-soleil ou Dieu-mendiant. Mais la farce n’est pas si grave. Si c’est réellement à poil qu’on se retrouve au bout du chemin, alors autant en rire, car on est libre. Il n’y a plus qu’à abandonner le masque de serviteur et se prendre par la main pour enfin mener sa propre existence. Là où le bas blesse c’est si on s’est cru devenir maître en/de la matière nous-même… Alors là il faut se débarrasser de tout le bazar, plumes, noms d’emprunts, toge, cape volante et même des livres qui ont fait office de garde-connaissance. Parce que le savoir est libre, et accessible à tous. On a du le codifier dans le langage parce qu’on avait perdu la carte mémoire. Mais c’est bon, elle est plugguée à nouveau, le logiciel remarche. Alors arrêtons de penser qu’on détient une quelconque garantie de s’en sortir tout ça parce qu’on sait.. On ne sait rien. On se souvient tout au plus, quand cela est nécessaire. Pas la peine d’aller faire de grandes conférences. C’est indécent tout ce tralala, on est tous humains oui ou merde ?
Je jure parce que c’est pas moins divin de le faire. C’est empreint d’amour. Je m’en amuse. Le langage est là et ne demande qu’à ce qu’on l’utilise pour faire des lendemains moins terribles. Que les rêveurs en arc en ciel prennent la plume, qu’ils n’oublient pas d’avoir de l’humour.
Et il y aura autant de façon de dire je t’aime que de mots dans le vocabulaire humain.
Il faut dire que ça en devient un peu ridicule ce défilé de prélats du nouveau-monde et de l’ancien, qu’on fait venir sur nos bitumes pour nous parler d’une terre moribonde où prêcher l’ère de demain. On les accueille à grandes courbettes alors que chez eux, ils se veulent hommes simples… Ne pensez pas que je dénigre, j’ai été la première à aller à la rencontre de ces sages, de ces peuples qu’on appelle “indigènes”. Cela aussi me fait sourire. N’est-on pas tous indigène? Ne venons nous pas tous de quelque part ? Seulement lui, l’indien dans la ville, il s’en souvient. Le gentil sauvage à qui l’on prête des connaissances mystiques. Et oui, sûrement, peut-être. Mais pour beaucoup, il a fait comme tout le monde, ce qu’il pouvait pour vivre dans l’environnement qui était le sien. La différence, c’est que le sien il est naturel. Ou tout au plus, il tente de le rester. Il n’a pas encore complètement vendu son âme à la bétonnière qui avale tout rond le peu d’ancrage terrestre qui nous reste pour recracher des routes toutes lisses qui ne mènent nul part, et certainement pas au bout du ciel.
Comme des goûts d’exposition universelle inversée. Visite de L’homme-nature payée à l’homme-bitume qui réalise doucement que les chaines ne sont plus du même côté de l’histoire, et il aimerait bien s’en soustraire, lui aussi retrouver le gout de la cueillette de fleurs sauvages et le son du printemps…
Bref. Qu’il faille en passer par là, convenons-en. Mais ne faisons pas de ces hommes une énième caricature d’eux mêmes. Le néocolonialisme sous toutes ses formes guette et nous sommes encore à l’aube d’une naissance nouvelle, possible enfantement d’un homme d’un autre genre, qui ne se définirait non plus par son ramage ou par ses offrandes sacrificielles, mais bien par une sagesse qui se veut l’éloge même du simple. Un monde sans ambages ni querelles de nomenclature, peut être même une société au delà du langage. Un monde de silence fertile et indolore où il ferait bon être - à plume ou à poil - simple exercice de style.
Parce que finalement, si on est là, autant se le permettre. En toute indulgence, bien sûr.